Comptes Bancaires, Compte Courant et Comptes Joints : Entre Comptabilité et Relations Contractuelles

Dans le fonctionnement des banques et des intermédiaires financiers, le compte est l’un des mécanismes de base. Au-delà du simple dépôt d’argent, il représente une écriture comptable consignant, d’une part, les actifs et, d’autre part, les passifs. Ainsi, lorsqu’un client, comme Céline, apparaît comme créancière, sa créance figure au passif de la banque, tandis que les crédits consentis à d’autres clients se retrouvent à l’actif. Cet article présente les fondements juridiques et pratiques des comptes bancaires, en s’attardant plus particulièrement sur le compte courant et le compte joint.


I. La Nature Juridique des Comptes Bancaires

1. Du Compte Comptable à la Relation Contractuelle

Le compte bancaire n’est pas uniquement un lieu de dépôt ; il constitue l’extrait comptable qui matérialise la relation entre le client et la banque. Chaque compte est issu d’un contrat conclu entre les parties, bien que le contrat de compte bancaire ne soit pas expressément réglementé par le Code des obligations (CO).
Les comptes se déclinent notamment en :

  • Comptes monétaires : Ils enregistrent les créances et les dettes de la banque envers ses clients.
  • Comptes de titres : Dans ce cas, la banque agit en qualité de dépositaire des titres, en les comptabilisant de manière analogue aux créances réciproques.

2. Différentes Natures Contractuelles Sous-Jacentes

La relation entre la banque et son client peut prendre diverses formes en fonction de l’objet du contrat :

  • Prêt à usage ou prêt de consommation
    • Le prêt à usage (art. 305 ss CO) se distingue du prêt de consommation (art. 312 ss CO). Dans le cas d’un prêt de consommation, l’usage de la chose prêtée (ici, l’argent) se fait par sa consommation.
    • La distinction avec le crédit réside notamment dans le fait que le crédit à un consommateur (le « petit crédit ») est généralement accordé sans sûreté et fait l’objet d’une loi spéciale.
  • Dépôt
    • Le dépôt normal (art. 472 CO) consiste à déposer une somme d’argent que l’on récupère ensuite.
    • Le dépôt irrégulier (art. 481 CO) oblige la banque à restituer une somme équivalente, sans pour autant restituer les mêmes espèces, l’argent étant fongible.
  • Mandat
    • Dans le cadre d’un mandat, la banque s’engage à rendre des services à son mandant, conformément aux dispositions contractuelles du CO.

Selon l’orientation privilégiée – conservation, rémunération ou trafic des paiements –, la banque peut qualifier différemment le contrat sous-jacent à l’ouverture d’un compte.


II. Le Compte Courant et la Compensation des Créances Réciproques

1. Définition et Fonctionnement du Compte Courant

Le compte courant est un contrat innommé qui sert essentiellement au trafic des paiements. Il permet de réunir l’ensemble des créances réciproques entre la banque et son client ou entre deux parties (par exemple, entre une entreprise et ses fournisseurs).
Ce mécanisme offre plusieurs avantages :

  • Suivi permanent de la position nette : En compensant les créances réciproques, il est possible de connaître, à tout moment, la position nette de chaque partie.
  • Comptabilisation des intérêts : Un solde positif génère des intérêts créditeurs, tandis qu’un solde débiteur entraîne des intérêts débiteurs.
  • Effet de garantie : La compensation automatique des créances, sans constituer une sûreté au sens strict, apporte une sécurité dans le règlement des dettes.

2. La Novation et le Rôle du Relevé de Compte

La novation intervient lorsque les créances multiples et réciproques sont remplacées par une créance unique. Ce processus, prévu aux art. 116 et 117 CO, suppose l’accord des parties, souvent matérialisé par un relevé de compte périodique.
Si le client ne conteste pas le relevé dans le délai de 30 jours fixé par les conditions générales, son silence est interprété comme une acceptation de la novation. Par conséquent, les créances individuelles perdent leur caractère distinct et ne peuvent plus être contestées séparément par la suite.


III. Les Comptes Joints : Pluralité des Titulaires et Conséquences Juridiques

1. La Spécificité du Compte Joint

Un compte joint est un compte collectif pouvant être ouvert par plusieurs titulaires. Chaque titulaire y dispose de droits, mais le fonctionnement peut varier selon les conventions conclues avec la banque.
Par exemple, dans certains cas, les titulaires peuvent disposer librement des avoirs, alors que dans d’autres, les opérations doivent être effectuées conjointement. La solidarité active (art. 150 CO) peut s’appliquer, impliquant que chacun des titulaires est conjointement responsable des opérations effectuées.

2. Le Système de Procuration et les Limitations d’Ordres

Les conditions contractuelles peuvent prévoir des procurations individuelles permettant, par exemple, à chaque titulaire de donner des ordres de paiement jusqu’à un certain montant (ex. CHF 10’000) sous sa seule signature. Au-delà, une double signature peut être exigée pour protéger les intérêts de chacun.
La révocation d’une procuration est en principe possible à tout moment, mais la question se pose de savoir si elle peut être effectuée unilatéralement ou si l’accord de l’ensemble des titulaires est nécessaire. Ces éléments doivent être prévus clairement dans le contrat bancaire ou dans la procuration elle-même pour éviter toute insécurité juridique.


IV. Analyse de Cas Pratiques

Cas Pratique 1 : Le Compte Joint des Avocats Dupond & Dupont

Philippe Dupond et Oscar Dupont, avocats associés, sont cotitulaires d’un compte joint (n° 118118-00) utilisé pour la gestion de leur cabinet. Leur convention avec la banque prévoit que :

  • Pour des ordres de paiement jusqu’à CHF 10’000, chaque associé peut intervenir individuellement.
  • Pour des montants supérieurs, les deux signatures sont requises.

Situation litigieuse :

  • Ordre du 10 février : Oscar a effectué un retrait au guichet sous sa seule signature, puis a perdu CHF 9’000 au casino.
    • Question juridique : Philippe peut-il contester cette écriture ?
    • Analyse : Philippe est en droit de contester l’écriture s’il prouve que l’ordre exécuté ne respecte pas la convention convenue. La banque devra procéder à une rectification par le biais d’une extourne (écriture en sens inverse) afin de corriger le solde, sans pouvoir simplement effacer l’écriture, en raison des exigences de traçabilité comptable.
  • Écritures des 15 et 16 février : La banque a crédité par erreur des intérêts concernant des titres appartenant exclusivement à Oscar.
    • Question juridique : Philippe peut-il contester l’extourne du 16 février ?
    • Analyse : Si la banque a crédité des intérêts par erreur, elle peut légitimement exiger leur remboursement pour cause d’enrichissement illégitime (cf. art. 63 CO). L’erreur, une fois constatée, doit être corrigée par une extourne, ce qui ne crée pas de créance nouvelle.
  • Écriture du 23 février : Une opération relative à une carte de crédit non sollicitée et immédiatement restituée à la banque est apparue.
    • Question juridique : Philippe peut-il contester cette écriture ?
    • Analyse : La rémunération facturée par la banque pour le service de la carte de crédit ne doit être appliquée que si le contrat est passé et que le service est effectivement utilisé. En l’espèce, la créance relative à cette opération est contestable et doit être annulée par une contre-écriture.
  • Délai de Contestation :
    • Question juridique : Si l’écriture du 23 février n’est pas contestée pendant le délai de 30 jours, Philippe pourra-t-il la contester le 14 avril ?
    • Analyse : En cas de dépassement du délai de contestation, le silence du client vaudra acceptation, entraînant la novation du compte. Dès lors, Philippe ne pourra plus remettre en cause cette écriture, sauf en cas de vice du consentement démontrable.
  • Clôture du Compte :
    • Question juridique : Lors de la dissolution de leur association, Philippe donne instruction le 28 février de clôturer le compte et de transférer le solde sur le compte de sa nouvelle étude.
    • Analyse : Pour un compte collectif en mains communes, l’instruction de clôture doit être donnée par tous les titulaires, sauf disposition contractuelle contraire. En cas de paralysie, le compte ne pourra être débloqué unilatéralement et il faudra recourir, le cas échéant, à une procédure judiciaire.

Cas Pratique 2 : Double Débit sur le Compte de Julie

Julie, qui dispose d’un compte courant à la Caisse d’Épargne SA, avait mis en place un ordre permanent pour le paiement de son loyer (CHF 3’000 le 27 de chaque mois).

  • Situation litigieuse :
    • En examinant son relevé de février 2011, Julie constate que le paiement du loyer a été débité deux fois le 27 février.
    • Elle a transmis sa réclamation par courrier électronique le 7 mars 2011.
  • Question juridique : Le double débit est-il justifié ?
    • Analyse : Le double débit apparaît comme une erreur de la banque. Julie est fondée à demander une rectification de cette erreur, et la banque devra procéder à une contre-écriture pour rétablir le solde correct sur le compte.