Le Secret Bancaire en Droit Suisse : Fondements, Obligations et Perspectives

Le secret bancaire, longtemps considéré comme un argument commercial majeur de la place financière suisse, conserve une définition fondamentale malgré l’évolution du contexte international. Il s’articule autour d’un devoir de discrétion imposé aux banques, à leurs organes, employés et autres personnes liées par leur fonction, concernant les informations économiques et personnelles des clients et des tiers.


I. Définition du Secret Bancaire

Selon Schönle H., le secret bancaire consiste en « la discrétion que les banques, leurs organes, leurs employés ainsi que certaines personnes en relation directe avec elles doivent observer concernant les affaires économiques et personnelles de leurs clients et de tiers parvenus à leur connaissance dans l’exercice de leur profession ». Historiquement, ce secret a constitué un argument de vente pour la place financière suisse, notamment en raison de son opposabilité fiscale. Toutefois, les évolutions récentes ont profondément modifié cet aspect.


II. Fondements du Secret Bancaire

Le secret bancaire repose sur plusieurs bases juridiques :

  • Droits de la personnalité
    La protection de la sphère privée, notamment par l’art. 28 du Code civil (CC), constitue le premier fondement.
  • Obligation contractuelle de fidélité
    Issue des rapports contractuels entre la banque et son client (CO 398), cette obligation naît de l’obligation de bonne foi dans l’exécution du mandat et des relations précontractuelles (art. 2 CC).
  • Règles de la bonne foi
    Le principe de bonne foi, inscrit à l’art. 2 CC, s’applique tant aux rapports contractuels qu’aux négociations précontractuelles, imposant la confidentialité sur les informations confidentielles révélées.
  • Droit de la surveillance
    Certaines dispositions légales spécifiques (par exemple, art. 47 LB, art. 43 LBVM, art. 148 LPCC) renforcent l’obligation de secret par des sanctions pénales et administratives, sans pour autant constituer un droit constitutionnel. Le Tribunal fédéral a en effet précisé que le secret bancaire, bien qu’étant un principe fondamental de notre ordre juridique, n’est pas un droit de nature constitutionnelle (ATF 135 III 431/JdT 2012 I 207, consid. 2.1).

III. L’Article 47 de la Loi sur les Banques (LB)

L’art. 47 LB, qui a évolué au fil du temps, fixe les contours de l’obligation de secret bancaire applicable à certains intermédiaires financiers.

  • Hypothèses d’application :
    • Let. a : S’applique aux personnes physiques (organes, mandataires, etc.) tenus par le secret.
    • Let. b : Vise toute personne incitant un titulaire (intraneus) à violer ce secret.
    • Let. c : Cible les personnes extérieures (extraneus) qui, ayant reçu des informations confidentielles, les divulguent.
  • La loi de 2015 a introduit l’al. 1bis et l’al. 5, ce dernier réservant certaines obligations (notamment en matière de témoignage et de renseignement en justice) qui atténuent le caractère absolu du secret bancaire.

IV. Position du Secret Bancaire dans le Code Pénal

Le secret bancaire n’est pas expressément mentionné dans le Code pénal suisse. Historiquement, la Loi sur les banques datant de 1934 précède le Code pénal (1937). Cette particularité trouve également une explication symbolique, en lien avec les mesures instaurées dans les années 1920 pour protéger les clients et les banques.


V. Les Grands Paramètres du Secret Bancaire

Plusieurs éléments structurent le secret bancaire :

  • Maître du secret : Le client, ainsi que ses héritiers, demeure le véritable maître de ses informations.
  • Sujets concernés : La protection s’applique aux banques, aux négociants en valeurs mobilières, aux bourses et à leurs organes (employés, mandataires, auditeurs, etc.).
  • Objet : Il s’agit d’informations non notoires parvenues à la connaissance de la personne chargée du secret dans l’exercice de ses fonctions.
  • Durée : L’obligation de secret s’étend avant, pendant et après les rapports contractuels, et subsiste même après le décès du client (question d’opposabilité aux héritiers, cf. art. 400 CC).

VI. Particularités du Secret Bancaire Suisse

Bien que le secret bancaire ne soit pas unique à la Suisse, il se distingue par :

  • La sévérité des sanctions pénales (peines privatives de liberté) et la poursuite d’office (contrairement à d’autres pays où la poursuite se fait sur plainte).
  • Des exceptions très restrictives, qui encadrent strictement la levée du secret en cas de devoir de renseignement de l’autorité.

VII. Conséquences d’une Violation du Secret Bancaire

La violation du secret bancaire entraîne des responsabilités multiples :

  • Responsabilité pénale : Les personnes physiques responsables peuvent être poursuivies pénalement.
  • Responsabilité civile : L’établissement bancaire et l’auteur de la violation peuvent être tenus de réparer le dommage, bien que la quantification (notamment du tort moral) reste complexe (cf. ATF 115 II 72).
  • Mesures administratives : Des dispositions spécifiques (LFINMA art. 31 à 37) viennent compléter le dispositif de protection.

VIII. Exceptions au Secret Bancaire

Certaines situations permettent de lever le secret bancaire :

  • Le consentement du maître du secret
    La pratique des waivers autorise la levée volontaire du secret.
  • Les obligations légales de renseignement
    Conformément à l’al. 5 des art. 47 LB et à l’art. 43 LBVM, la législation prévoit des obligations de témoignage et de renseignement en justice.
  • Faits justificatifs extra-légaux
    La « clause générale de police » permet à une banque de communiquer des informations lorsque cela est nécessaire pour la défense de ses intérêts (par exemple, dans le cadre d’avoirs non réclamés).

IX. Le Rôle de la FINMA

La FINMA, autorité suisse de surveillance des marchés financiers, n’est pas liée par le secret bancaire vis-à-vis de l’exercice de ses missions.

  • Obligation de renseignement : Selon l’art. 29 LFINMA, les établissements assujettis doivent fournir à la FINMA les renseignements et documents nécessaires, sans que cette obligation ne s’applique aux autorités de surveillance étrangères.

X. Autorités Étrangères de Surveillance

Dans le cadre de l’entraide administrative internationale, des dispositions spécifiques (LFINMA art. 42, 42b, 42c et 43) encadrent la transmission d’informations aux autorités étrangères, dans le respect du principe de spécialité et des procédures administratives adéquates (recours au TAF).


XI. Procédure Pénale et Procédure Civile

  • Procédure pénale :
    Bien que le secret bancaire ne soit pas explicitement mentionné dans le Code de procédure pénale, l’art. 173 al.2 CPP impose aux détenteurs de secrets protégés de déposer, avec la possibilité d’être libérés de cette obligation si l’intérêt à maintenir le secret l’emporte sur l’intérêt à la manifestation de la vérité. Le refus injustifié peut entraîner des sanctions (CP 292).
  • Procédure civile :
    Sous le régime du CPC, les dépositaires d’autres secrets protégés peuvent refuser de collaborer si cela est justifié (CPC 163 II, 166 I, 164 et 167).

XII. Entraide Civile Internationale

La Convention de La Haye du 18 mars 1970 permet aux autorités de recourir aux moyens de contrainte appropriés pour l’obtention de preuves à l’étranger, renvoyant ainsi au CPC pour l’exécution des commissions rogatoires.


XIII. Secret Bancaire et Droit Fiscal

1. En Droit Fiscal Interne

En procédure de taxation, les autorités fiscales suisses ne peuvent obtenir d’informations sur des contribuables spécifiques auprès des banques, sauf dans deux hypothèses très restrictives :

  • En cas de poursuite pour escroquerie fiscale (usage de faux ou édifice de mensonges).
  • Pour l’impôt fédéral direct, en cas de soupçon fondé de soustraction continue de montants importants d’impôts (LIFD 175, 176, 190 ss).

2. En Droit Fiscal International

Historiquement, le secret bancaire permettait de distinguer entre soustraction d’impôts et escroquerie fiscale. Aujourd’hui, dans le cadre des conventions contre la double imposition (CDI), l’échange d’informations est limité à l’application correcte de la convention. Toutefois, l’évolution récente (avec FATCA, accords USA‑CH et autres initiatives internationales) oblige les banques à adapter leurs pratiques, sous peine de se voir imposer des mécanismes d’échange automatique d’informations.


XIV. L’Affaire US DOJ v UBS

L’affaire US DOJ contre UBS illustre la complexité de la protection du secret bancaire en contexte international.

  • Contexte : Démarchage actif de clients américains, violation des engagements de qualified intermediary, et complicité présumée dans une fraude fiscale.
  • Conséquences : Obtention d’ordonnances judiciaires par l’IRS, transmission de dossiers par FINMA et négociations au niveau du Conseil fédéral.

XV. Révolution dans le Droit Fiscal International

Les évolutions récentes se traduisent par :

  • La révision des CDI, permettant désormais aux États concernés de demander des informations sur leurs ressortissants.
  • La promulgation du FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) et la conclusion d’un accord USA‑CH, qui instaurent un mécanisme d’échange automatique de renseignements.
  • Des discussions internationales visant à harmoniser ces procédures, bien que la Suisse continue de chercher des alternatives, notamment via l’imposition à la source.

XVI. L’Art. 26 du Modèle OCDE de Conventions de Double Imposition

Cet article prévoit l’échange de renseignements « vraisemblablement pertinents » entre les autorités fiscales des États contractants, sans que le fait que ces renseignements soient détenus par une banque ou un intermédiaire financier ne puisse constituer un motif de refus de communication.


XVII. La Loi Fédérale sur l’Assistance Administrative Internationale en Matière Fiscale (LAAF)

Entrée en vigueur en février 2013 et modifiée en 2014, la LAAF encadre notamment la possibilité de répondre à des demandes groupées et autorise, dans certains cas, le report immédiat de l’information au contribuable concerné.


XVIII. Secret Bancaire et Avenir de la Place Financière Suisse

Pour que la disparition du secret bancaire, notamment en matière fiscale, ne compromette pas la place financière suisse, trois conditions sont nécessaires :

  • Une évolution équivalente dans les places financières concurrentes.
  • La mise en place de possibilités de régularisation pour les clients et collaborateurs concernés.
  • Une (ré)ouverture de l’accès au marché.

XIX. Bilan

Le secret bancaire reste une norme de rang législatif qui réserve toute disposition légale contraire. Toutefois, il n’est pas opposable dans certaines situations clés, notamment dans les procédures pénales (suisses et internationales) et dans l’échange automatique ou à la demande de renseignements fiscaux. Malgré ces limitations, il demeure un mécanisme de protection important pour la confidentialité des informations des clients, tant du point de vue de la protection de la personnalité que de l’organisation des relations contractuelles entre les banques et leurs clients.