Le développement des infrastructures de marché en Suisse a permis l’émergence d’un nouveau type de titre financier, le « titre intermédié ». Issu de la transition des papiers‑valeurs physiques vers une détention dématérialisée, ce mécanisme – encadré par la Loi fédérale sur les titres intermédiés (LTI) – facilite la conservation et le transfert des droits de propriété sur des instruments financiers. Cet article présente les fondements juridiques, les modes de conservation et les enjeux pratiques liés aux titres intermédiés.
I. Cadre Juridique et Définition
Selon l’art. 2 LIMF, les valeurs mobilières comprennent non seulement les papiers‑valeurs (titres physiques tels que les actions ou les obligations) et les droits‑valeurs (titres dématérialisés), mais également les dérivés et, désormais, les titres intermédiés. Ces derniers représentent une forme de détention indirecte où les droits incorporés aux titres sont inscrits au crédit d’un compte de titres auprès d’un dépositaire central.
- Papiers‑valeurs : Titres physiques qui se transfèrent par la remise effective du support matériel (ou, dans certains cas, par endossement pour les titres à ordre).
- Titres intermédiés : Créés lors de l’inscription au crédit d’un compte de titres, ils résultent d’un « jeu d’écritures » permettant la conservation et le transfert des droits de propriété sans nécessiter le mouvement physique des supports.
La LTI, adoptée en 2008 et entrée en vigueur en 2010, établit ainsi un cadre nouveau et efficient pour la détention de titres en Suisse, garantissant la protection des droits de propriété des investisseurs et la stabilité du système financier.
II. Modes de Conservation des Titres Intermédiés
L’art. 6 LTI identifie trois modes principaux par lesquels les titres peuvent être constitués et conservés :
1. Dépôt Collectif
- Principe : Les papiers‑valeurs d’une même émission sont déposés collectivement auprès d’un intermédiaire financier.
- Conséquence : L’investisseur devient copropriétaire d’un ensemble homogène de titres sans en recevoir une identification individuelle.
- Transformation : Le droit de propriété se transforme en un droit sur des biens fongibles, ce qui facilite ultérieurement le transfert et la réalisation du gage.
2. Certificats Globaux
- Principe : Les émetteurs renoncent à délivrer des coupures individualisées et remplacent ces documents par un certificat global représentant l’ensemble des droits divisibles.
- Fonction : Le certificat global, un titre physique, est remis à un dépositaire et immobilise les droits des investisseurs de façon collective.
3. Droit‑valeurs
- Principe : Les titres sont entièrement dématérialisés et n’existent plus sous forme papier.
- Constitution : Pour qu’un droit‑valeur devienne un titre intermédié, il doit être inscrit au registre principal d’un dépositaire, garantissant ainsi la sécurité juridique et la facilité de transfert.
Dans chacun de ces modes, l’inscription au crédit d’un compte de titres constitue l’acte constitutif du titre intermédié, transformant la détention physique ou le droit inscrit en une simple écriture comptable.
III. Les Avantages de la Dématérialisation
Le système des titres intermédiés présente plusieurs avantages :
- Efficience : La transformation des droits en écritures comptables facilite la conservation et le transfert des titres.
- Sécurité juridique : La création de droits réels par le biais de l’inscription sur un compte de titres permet une meilleure preuve de propriété et simplifie les opérations de gage.
- Adaptabilité : Ce mécanisme permet d’intégrer des innovations dans la gestion des titres, facilitant par exemple la constitution de sûretés et la réalisation des droits en cas de non‑paiement.
IV. Cas Pratique : Bond Partners LLP et le Pledge Agreement
Contexte
Bond Partners LLP, basé à Antigua, détient un compte de titres ainsi que des comptes courants en plusieurs monnaies auprès de Banque d’Investissements (Suisse) SA (BISSA). L’établissement, autorisé par la FINMA, a ouvert une ligne de crédit de CHF 2’000’000 pour Bond Partners, garantie par un nantissement général portant sur ses comptes courants et sur l’intégralité de son compte de titres – valeur brute évaluée à CHF 6’000’000 – à hauteur de 120 % du découvert. Parallèlement, Bond Partners a obtenu un crédit de GBP 5’000’000 de Cash & Carry Bank Ltd à Londres, garanti par un gage sur tous les titres inscrits au compte n° 123’456 auprès de BISSA. Les trois parties ont conclu un Pledge Agreement.
Questions clés abordées dans le cas pratique :
- Loi applicable à la sûreté (Pledge Agreement)
- La clause d’élection de for dans le Pledge Agreement désigne les tribunaux de Genève.
- En application des art. 108a–d LDIP, la Convention de La Haye du 5 juillet 2006 est en principe applicable aux titres intermédiés.
- Conclusion : Pour un tribunal suisse (par ex., à Genève), le droit applicable sera le droit suisse, notamment la LTI. En revanche, un tribunal d’un État membre de l’UE pourrait appliquer les règles de droit international privé de cet État, la Convention n’étant pas universellement ratifiée.
- Nature juridique de la sûreté en faveur de Cash & Carry
- Le Pledge Agreement constitue un gage conventionnel.
- Le caractère accessoire de la sûreté (clause 10.2) et la disposition prévoyant la vente en cas d’enforcement (clause 7) confirment que le gage demeure accessoire à la créance garantie, sans transfert de propriété.
- Validité et opposabilité de la sûreté
- Pour créer un acte de disposition sur des titres intermédiés, la LTI prévoit plusieurs modes (art. 24, 25 et 26 LTI).
- En l’espèce, une convention de contrôle avec un engagement irrévocable du dépositaire (BISSA) est prévue (voir clause 4.4 et clause 11.3 du Pledge Agreement).
- Conclusion : La sûreté est constituée conformément à l’art. 25 LTI, valablement créée et opposable aux tiers.
- Rang des sûretés de BISSA et de Cash & Carry
- Conformément à l’art. 30 LTI, l’ordre chronologique des actes de disposition détermine le rang.
- Dans ce cas, la sûreté constituée par Cash & Carry est de premier rang, tandis que celle de BISSA est subordonnée et classée en deuxième rang, comme confirmé par les clauses 4.6 et 6.1.H.
- Conditions de réalisation de la sûreté par Cash & Carry
- Selon les art. 31 et 32 LTI, Cash & Carry peut réaliser sa sûreté en cas de non-remboursement de la créance garantie, après avoir donné un avertissement, sauf si une dérogation est prévue pour les investisseurs qualifiés.
- Conclusion : La réalisation de la sûreté se fera dans le cadre défini par la LTI.
- En cas de faillite de Bond Partners
- Même en situation de faillite, l’art. 31 al.2 LTI permet à Cash & Carry de procéder à la réalisation privée de sa sûreté, sans attendre la fin de la procédure d’exécution forcée.
- Situation en cas de vente non autorisée par BISSA
- Si BISSA vend, sur instruction de Bond Partners et sans le consentement de Cash & Carry, des titres inscrits au crédit du compte, plusieurs dispositions de la LTI (art. 15, clauses 4.5, 9.2 et 9.3, art. 27 et 29) ainsi que le droit commun (dommages‑intérêts fondés sur le CO) viennent encadrer la question.
- Conclusion : Une telle opération doit respecter les instructions du titulaire et le consentement préalable prévu par les clauses contractuelles. En cas de manquement, la banque peut être tenue responsable des dommages subis par la partie lésée.
Conclusion
Les titres intermédiés, créés par l’inscription électronique des droits de propriété sur un compte de titres, représentent une innovation juridique majeure en Suisse. La LTI encadre leur conservation et leur transfert, en offrant des modes de détention variés (dépôt collectif, certificats globaux, droits‑valeurs) qui facilitent la gestion, la sécurisation et la négociation des valeurs mobilières.
L’analyse du cas pratique de Bond Partners LLP illustre concrètement l’application du cadre juridique, depuis la détermination du droit applicable jusqu’à la hiérarchisation et la réalisation des sûretés. Ainsi, la compréhension des mécanismes et des règles de conduite relatives aux titres intermédiés est essentielle pour assurer la protection des droits des investisseurs et la stabilité du système financier suisse.