La mondialisation des marchés financiers et l’harmonisation réglementaire en Europe, notamment avec la mise en œuvre de MiFID et MiFIR, redéfinissent les conditions d’accès au marché européen des services financiers. Dans ce contexte, la détermination du « for » du consommateur – c’est-à-dire le lieu de juridiction où le consommateur peut agir – occupe une place centrale. Cet article présente les mécanismes juridiques qui protègent le client privé tant en Suisse qu’au sein de l’Union européenne, tout en évoquant les défis auxquels sont confrontés les prestataires suisses.
I. Le For du Client Privé selon la LDIP
L’article 114 de la LDIP dispose que, dans les contrats répondant aux conditions énoncées par l’article 120 LDIP, le consommateur peut choisir de porter son action devant :
- Le tribunal suisse de son domicile ou de sa résidence habituelle, ou
- Celui du domicile (ou, à défaut, de la résidence habituelle) du fournisseur.
Ces dispositions s’appliquent aux contrats portant sur des prestations de consommation courante destinées à un usage personnel ou familial. L’article 120 LDIP précise que ces contrats sont régis par le droit de l’État de résidence habituelle du consommateur lorsque le fournisseur a reçu la commande ou que la publicité et les offres l’ont incité à conclure le contrat. Par ailleurs, le consommateur ne peut renoncer d’avance à ce for de son domicile.
II. Le For du Client Privé selon la Convention de Lugano
La Convention de Lugano, dans sa section sur la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs (art. 15), détermine que pour les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel exerçant son activité dans un État lié par la Convention, la compétence revient en principe aux tribunaux de l’État où le consommateur a son domicile. Ainsi, même en cas de services transfrontaliers, le consommateur bénéficie d’une protection renforcée quant au choix du for.
III. La Définition du Consommateur et des Contrats de Consommation
Pour être qualifié de consommateur au sens de la CL, le contrat doit être conclu entre :
- Une personne physique domiciliée sur le territoire d’un État lié par la CL, pour un usage personnel ou familial (c’est-à-dire étranger à son activité professionnelle),
- Et un cocontractant professionnel (banque, négociant en valeurs mobilières, conseiller en placement, etc.) qui dirige ses activités vers cet État.
Les contrats concernés incluent notamment ceux relatifs aux crédits, aux comptes courants, au conseil en placement ou à la gestion de fortune. Même si le consommateur est un professionnel dans certains domaines, dès lors que l’objet du contrat relève d’un usage personnel, la protection offerte par la LDIP et le Règlement Rome I s’applique.
IV. Détermination du For et Loi Applicable
1. En Suisse
Selon l’article 120 LDIP, les contrats de consommation courante sont régis par le droit de l’État de résidence habituelle du consommateur, sans possibilité pour le consommateur de renoncer à ce for. Ainsi, en Suisse, même si le contrat comporte une clause d’élection de for, le consommateur conserve le droit d’agir devant le tribunal de son domicile.
2. Dans l’Union européenne
Le Règlement (UE) 593/2008 « Rome I » prévoit, en son art. 6, que les contrats de consommation conclus par une personne physique pour un usage personnel sont régis par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel exerce ses activités dans ce pays ou y dirige ses activités. De plus, l’élection de droit convenue entre les parties ne peut priver le consommateur de la protection offerte par ces règles impératives.
Ainsi, dans l’UE, le consommateur peut choisir d’ester en justice dans le for de son domicile, et toute clause contraire est soumise à des conditions restrictives.
V. MiFID, MiFIR et l’Accès au Marché Européen
Les règlements MiFID et MiFIR représentent la troisième génération de régulation des marchés et des services d’investissement. Ces textes, complétés par d’autres directives telles que l’AIFMD, EMIR, UCITS, et PRIIPS, visent à harmoniser les règles applicables aux services financiers à l’échelle européenne. En Suisse, la LBVM, notamment son art. 11, est calquée sur l’art. 11 de la Directive sur les services d’investissement (DSI) datant de 1995. Toutefois, des projets de loi tels que le FIDLEG et le FINIG sont en cours de traitement pour rapprocher le droit suisse des standards européens.
1. Catégorisation des Clients
MiFID distingue plusieurs catégories de clients :
- Clients de détail : Pour lesquels les États membres peuvent fixer des conditions spécifiques, souvent exigeant la présence d’une succursale ou d’un agrément particulier.
- Clients professionnels : Pour lesquels les règles sont harmonisées de manière complète après une période transitoire de trois ans.
- Reverse solicitation (sollicitation inverse) : Dans ce cas, les services sont fournis sur la seule initiative du client, sans nécessiter d’agrément supplémentaire.
2. Régime des Prestataires Suisses
Les prestataires suisses de services d’investissement doivent obtenir une décision d’équivalence pour accéder au marché européen. Cependant, le coût et l’incertitude de ces équivalences poussent souvent les acteurs ayant une ambition européenne à établir des succursales en Europe, soumises intégralement au droit communautaire. Cette délocalisation peut entraîner une perte de création de valeur en Suisse.
VI. Conséquences et Enjeux Stratégiques
L’application du droit de l’UE aux contrats conclus avec des consommateurs affecte directement les entreprises financières suisses fournissant des services transfrontaliers. Les principaux enjeux sont les suivants :
- Protection du consommateur : Le consommateur bénéficie d’un droit de choix du for et de la loi applicable, que ce soit en Suisse ou dans l’UE.
- Conformité réglementaire : Les prestataires suisses doivent adapter leurs pratiques pour respecter non seulement le droit privé européen (Rome I, Convention de Lugano) mais également les exigences de MiFID/MiFIR et d’autres régulations européennes.
- Stratégies d’accès au marché : Face aux exigences d’équivalence et aux risques de délocalisation de la création de valeur, certains acteurs suisses optent pour la création de succursales européennes, tandis que d’autres continuent d’opérer sous le régime suisse, avec des accords bilatéraux spécifiques pour l’accès aux marchés de détail.
Conclusion
La réglementation MiFID/MiFIR, combinée aux dispositions de la LDIP, du Règlement Rome I et de la Convention de Lugano, offre aux consommateurs une protection renforcée en matière de choix du for et de la loi applicable. Pour les prestataires de services d’investissement suisses, cela signifie une exposition accrue au droit privé européen, ainsi qu’à des exigences réglementaires supplémentaires en matière de surveillance, d’agrément et de conduite professionnelle.
Face à ces défis, la stratégie d’accès au marché européen repose sur l’obtention d’équivalences, la création de succursales ou des accords bilatéraux spécifiques – autant de choix qui influenceront l’avenir de la place financière suisse.