Les crédits hypothécaires constituent l’un des piliers du financement immobilier. Ils permettent aux banques d’octroyer des prêts à long terme à leurs clients en se couvrant par un gage immobilier. Cependant, cette activité présente des risques spécifiques, tant du point de vue du risque de crédit que de l’insuffisance de gage, sans oublier les problématiques liées aux taux d’intérêt. Cet article présente les principaux aspects juridiques et pratiques des crédits hypothécaires.
I. Les Fondements des Crédits Hypothécaires
1. But, Durée et Risques
Un crédit hypothécaire est un prêt accordé par une banque à un client, garanti par un gage immobilier.
- But et durée : Ces prêts visent à financer l’achat ou la rénovation d’un bien immobilier et s’engagent généralement sur le long terme.
- Risques encourus par la banque :
- Risque de crédit : En cas de non-remboursement, la banque peut réaliser le bien immobilier mis en gage.
- Risque d’insuffisance de gage : Si le prix de revente du bien est inférieur au montant du crédit octroyé, la banque subit une perte.
- Taux d’intérêt :
- Taux fixe : Le client est protégé contre la fluctuation des taux, mais la banque supporte le risque en cas de hausse des taux sur les marchés des capitaux.
- Taux variable : Le risque de fluctuation est transféré au client.
2. La Garantie Immobilière : Hypothèque et Cédule Hypothécaire
Pour se prémunir du risque de non-remboursement, la banque exige une sûreté réelle, le gage immobilier (art. 793 CC) :
- Hypothèque : Garantie d’une créance quelconque, sans matérialisation par un titre de gage.
- Cédule hypothécaire (art. 842 CC) : Titre garantissant une créance personnelle. Elle comporte deux créances coexistantes : celle de la cédule et celle de la créance de base (le prêt).
II. Risques et Modalités de Rémunération
Les crédits hypothécaires comportent des risques liés à la fois à la fluctuation des taux d’intérêt et à la valeur des biens immobiliers.
- Risque de taux d’intérêt : La marge que perçoit la banque correspond à la différence entre le taux auquel elle se refinancera sur les marchés des capitaux et le taux accordé au client.
- Risque d’insuffisance du gage : Une évaluation prudente du bien immobilier est indispensable pour éviter que la réalisation du bien ne couvre pas la totalité du crédit.
III. Autorégulation et Exigences Minimales
L’Autorité Suisse de surveillance (ASB) a mis en place des directives pour l’examen et le traitement des crédits hypothécaires :
- Directives concernant les crédits garantis par gage immobilier (2014) :
- Contrôle de solvabilité et évaluation des sûretés.
- Surveillance des crédits pour coordonner la capacité financière et l’amortissement.
- Exigences minimales pour les financements hypothécaires :
- Fonds propres minimum de 10%.
- Amortissement linéaire d’au plus 12 mois après le versement, visant à amortir 2/3 de la valeur de nantissement de l’immeuble sur 15 ans maximum.
IV. Sources de Financement et Processus de Titrisation
1. Financement par Titrisation aux États-Unis versus le Système Suisse
- Titrisation :
- Aux États-Unis, la banque transfère le risque en cédant les hypothèques à une entité séparée (SPV) qui regroupe les crédits pour les revendre sous forme de titres.
- En Suisse :
- Les banques octroient elles-mêmes les crédits hypothécaires et se refinancent sans transférer intégralement le risque.
- Les lettres de gage représentent un mécanisme de refinancement qui permet à la banque de conserver le crédit sur son bilan tout en se finançant auprès d’investisseurs sans transférer le risque.
V. Cas Pratique – Le Crédit Hypothécaire d’Auguste Bonplan
Auguste Bonplan, boulanger indépendant, souhaite investir dans un immeuble de rendement proposé au prix de CHF 2’500’000. Disposant de CHF 500’000 d’économies, il sollicite un financement de CHF 2’000’000 auprès de la Banque du Lac SA. Voici quelques questions et analyses tirées du cas pratique :
1. Qualification Juridique du « Contrat-cadre de Crédit Hypothécaire »
- Qualification :
- Le document est un contrat-cadre de crédit hypothécaire, qualifié de contrat innommé. Il constitue un accord préalable à l’octroi du crédit effectif et peut être résilié tant que le crédit n’est pas utilisé.
2. Obligation de Fourniture des Fonds
- Condition préalable :
- La banque n’est pas tenue de fournir les fonds immédiatement après la signature du contrat-cadre.
- La mise à disposition des fonds dépend de la fourniture des sûretés exigées, notamment la constitution du gage immobilier par inscription au registre foncier.
3. Augmentation du Crédit
- Exigence d’augmentation :
- Bonplan ne peut pas exiger une augmentation du crédit au-delà des CHF 2’000’000 prévus par le contrat-cadre.
- Néanmoins, la banque peut proposer une augmentation dans le cadre de ses directives ASB si les conditions (par exemple, le niveau des fonds propres, minimum 10%) le permettent.
4. Remboursement Anticipé et Clause Pénale
- Départ de Bonplan :
- Si Bonplan souhaite se départir du prêt hypothécaire pour financer l’achat d’un studio sur la Côte d’Azur, il peut procéder à un remboursement anticipé.
- Le contrat prévoit une indemnité de remboursement anticipé, qualifiée juridiquement de clause pénale (art. 160 al.3 CO). Celle-ci est calculée sur le capital, les intérêts échus et une indemnité forfaitaire (par exemple, 1% minimum ou CHF 1’000 minimum), ainsi que le gain ou la perte d’intérêts, en fonction des conditions du marché.
5. Retard de Paiement des Intérêts
- Intérêts échus :
- En cas de non-paiement des intérêts à leur échéance, ces intérêts ne peuvent être simplement additionnés au capital du prêt du fait de l’interdiction de l’anatocisme, notamment pour les intérêts moratoires (art. 314 al.3 CO et art. 105 al.3 CO).
- Un taux d’intérêt de pénalité, par exemple 2% supérieur au taux convenu, peut être appliqué en cas de retard, conformément aux dispositions contractuelles et à l’art. 104 CO.
6. Financement par Lettres de Gage
- Processus :
- La Banque du Lac SA se finance en contractant des emprunts auprès de la Centrale de Lettres de Gage des banques cantonales suisses SA.
- Le prêt octroyé à la banque est couvert par la créance hypothécaire sur Bonplan.
- Risque de crédit :
- En cas de non-remboursement par Bonplan, c’est la banque qui supporte le risque de crédit, car le risque n’est pas transféré à la centrale.
- La banque devra également fournir des sûretés supplémentaires à la centrale des lettres de gage.
Conclusion
Les crédits hypothécaires jouent un rôle crucial dans le financement immobilier, permettant aux banques de concilier financement à long terme et gestion des risques via des garanties réelles.
- Les risques inhérents – fluctuation des taux d’intérêt, risque de crédit et risque d’insuffisance de gage – justifient la rémunération par une marge et l’exigence de sûretés solides.
- Les directives ASB et les exigences minimales assurent une certaine autorégulation dans l’évaluation et le traitement de ces crédits.
- En Suisse, le financement des crédits hypothécaires se fait majoritairement sans transfert de risque complet, contrairement au modèle américain de titrisation, avec l’utilisation des lettres de gage comme outil de refinancement.
L’examen du cas pratique d’Auguste Bonplan illustre bien la complexité juridique et économique des crédits hypothécaires, tout en mettant en lumière les enjeux liés à la constitution de garanties, aux clauses pénales de remboursement anticipé et à la gestion du risque de crédit par les banques.