La phase de saisie constitue une étape essentielle de l’exécution forcée. Elle se décompose en deux temps : d’une part, la saisie proprement dite, qui détermine la manière dont l’État appréhende les biens du débiteur, et d’autre part, la réquisition de vente, c’est-à-dire la mise en vente des biens saisis. Cette procédure soulève de nombreuses questions pratiques et juridiques, tant sur la sélection des biens à saisir que sur les modalités d’opération et les garanties offertes au débiteur.
La Saisie Proprement Dite
La Sélection des Biens à Saisir
Avant toute opération, il est nécessaire de sélectionner les biens saisissables. Cette sélection repose sur trois principes fondamentaux :
- La limite du désintéressement du créancier (art. 97 LP)
Seuls les biens permettant de satisfaire intégralement le créancier peuvent être saisis. Par exemple, pour une créance de 200 CHF, il serait disproportionné de saisir une villa. - L’ordre indicatif (art. 95 LP)
La loi fournit des indications quant à l’ordre dans lequel les biens doivent être saisis. En principe, on procède ainsi :- D’abord, les biens mobiliers,
- Ensuite, le salaire,
- Puis, les biens immobiliers,
- Enfin, les biens juridiquement délicats susceptibles de faire l’objet de revendications par des tiers.
L’article 95 al.4 LP souligne que l’office des poursuites doit également prendre en compte les intérêts en présence. En pratique, le salaire est souvent le premier actif saisi en raison de sa facilité de réalisation.
- Les biens insaisissables (art. 92 LP)
La loi prévoit qu’un certain nombre de biens du débiteur sont protégés et ne peuvent être saisis :- Biens indispensables à l’usage personnel (ex. : médicaments, matelas) ;
- Biens nécessaires à l’exercice de la profession (ex. : une voiture indispensable) ;
- D’autres catégories, comme les cotisations de retraite non exigibles (qui deviendront saisissables à la retraite) ou les biens diplomatiques (non saisissables).
Par ailleurs, dans certains cantons ruraux, l’article 94 LP précise que les récoltes pendantes ne peuvent être saisies qu’avec certaines conditions temporelles.
L’Opération de Saisie
Une fois la sélection effectuée, l’opération de saisie entre en jeu. Celle-ci ne signifie pas que le débiteur perd physiquement ses biens : il en conserve la possession, mais ceux-ci sont « marqués » par un procès-verbal de saisie, document officiel qui énumère précisément les biens concernés.
Cette mesure entraîne plusieurs conséquences juridiques :
- Interdiction de disposer des biens saisis
Conformément à l’article 96 LP, le débiteur ne peut ni vendre ni détruire ces biens. En cas de non-respect, il s’expose à des sanctions pénales (ex. : privation de biens sous main de justice, selon l’article 169 CP) et à des sanctions civiles (rendant nulles les transactions réalisées de mauvaise foi). - Moyens de protection
L’office des poursuites peut également mettre en place des mesures de sûreté (article 98 LP) pour empêcher toute disposition frauduleuse des biens saisis.
Que Signifie la Saisie ?
- Pour un immeuble
Une annotation « restriction d’aliéner » est apposée sur le registre foncier (art. 101 LP). - Pour les créances
Lorsqu’une saisie porte sur une créance détenue par un tiers débiteur (art. 99 LP), ce dernier est notifié afin qu’il règle directement la créance auprès de l’office des poursuites. À réception de cette notification, le tiers ne peut se libérer qu’en transmettant le paiement à l’office, lequel encaisse la créance (art. 100 LP). - Cas particulier du salaire
Le salaire constitue souvent l’objet de la saisie. Celle-ci est réalisée par une notification adressée à l’employeur, qui est alors tenu de prélever le montant correspondant pour le reverser à l’office des poursuites. Cependant, le droit protège le débiteur en fixant deux types de limites :- Limite en quotité : Il est impératif de laisser un minimum vital (environ 1’700 francs) afin que le débiteur puisse subvenir à ses besoins. Ce minimum vital ne prend toutefois pas en compte les charges fiscales, celles-ci étant considérées comme des créances ordinaires.
- Limite en durée : Le salaire ne peut être saisi que pour une durée maximale d’un an. Cette règle vise à éviter qu’un créancier ne puisse, en accumulant des saisies successives, épuiser indéfiniment les ressources du débiteur.
Le Surendettement et ses Conséquences
La question du surendettement se pose particulièrement dans le cadre de la saisie du salaire. Concrètement, lorsque le débiteur est saisi, l’office laisse un vital minimum, et la première saisie (numéro 1) ne peut durer qu’une année. À l’issue de cette période, si le créancier n’est pas entièrement satisfait et que d’autres actifs ne sont pas disponibles, il peut demander une saisie complémentaire (art. 145 LP). Celle-ci ne peut cependant pas affecter à nouveau le salaire déjà saisi.
Si de nouveaux créanciers se manifestent, il peut alors être mis en place une séquence de saisies successives (numéros 2, 3, etc.) :
- La saisie numéro 2 entre en vigueur dès la fin de la saisie numéro 1 et, elle aussi, est limitée dans le temps.
- La saisie numéro 3 ne pourra intervenir qu’après la cessation de la saisie numéro 2, et ainsi de suite.
Ce mécanisme illustre la complexité et la durée potentielle de la procédure de saisie en cas de surendettement. Plusieurs solutions sont envisageables pour le débiteur :
- Adaptation de la saisie
Si le débiteur parvient à augmenter ses revenus (par exemple, en trouvant un emploi mieux rémunéré), le créancier peut demander une révision de la saisie selon la jurisprudence. - Changement de domicile
Le débiteur peut envisager de déménager, puisque la territorialité de la poursuite limite théoriquement la saisie du salaire à l’intérieur du territoire suisse. Néanmoins, cela ne met pas fin à la possibilité d’être poursuivi, notamment à l’étranger. - Procédure de faillite personnelle (art. 191 LP)
Le débiteur peut demander à être mis en faillite. Cette procédure unique centralise toutes les créances et, en cas d’amélioration de sa situation, permet aux créanciers de relancer de nouvelles poursuites sur la fortune désormais consolidée. - Plans de désendettement
Bien que non prévus par le droit suisse (à l’inverse du « fresh start » dans d’autres systèmes), ces plans visent à éteindre toutes les dettes. Ils représentent une solution socialement utile mais restent difficiles à mettre en œuvre et controversés du point de vue du créancier.
Conclusion
La procédure de saisie est une composante complexe de l’exécution forcée en Suisse, impliquant une sélection minutieuse des biens, le respect de règles strictes quant à l’opération et des limites protégeant le débiteur – notamment en cas de saisie de salaire. Ce mécanisme, en cherchant à concilier l’intérêt du créancier et la nécessité de garantir un minimum vital au débiteur, soulève d’importantes questions d’équilibre entre efficacité de l’exécution et justice sociale. La réflexion sur des dispositifs alternatifs, tels que la faillite personnelle ou des plans de désendettement, témoigne d’une volonté de trouver des solutions adaptées dans un contexte économique en constante évolution.