La procédure d’exécution forcée repose sur un ensemble de règles strictes qui visent à équilibrer la protection des créanciers et celle des débiteurs. La procédure préalable, première étape de ce mécanisme, revêt une importance particulière puisqu’elle interrompt la prescription et conditionne la suite de la poursuite. Nous détaillons ci-après les principales phases et outils juridiques prévus par la LP (Loi sur la poursuite) en la matière.
La Réquisition de Poursuite (art. 67 LP)
La procédure préalable débute par la réquisition de poursuite. Ce formulaire, établi par l’office des poursuites, comporte quatre informations obligatoires :
- L’identité du créancier : nom et domicile.
- L’identité du débiteur : nom et domicile.
- Le montant de la créance : exprimé en valeur légale suisse.Attention : Lorsque la créance porte intérêts, il convient de préciser le taux applicable ainsi que le jour auquel il court. La conversion en francs suisses doit être effectuée lors de la réquisition. Toutefois, l’article 88 al.4 LP autorise une nouvelle conversion lors de la continuation de la poursuite.
- Le titre et sa date ou, à défaut, la cause de l’obligation : il s’agit généralement du contrat à l’origine de la créance ou, en l’absence de contrat, de l’explication d’une créance résultant par exemple d’une responsabilité civile. La précision de la cause permet au débiteur d’identifier la nature exacte de la créance.
Au-delà de son rôle formel, la réquisition de poursuite a une fonction essentielle : elle interrompt la prescription. Ainsi, même si le débiteur reçoit ce document avec réticence, son envoi permet de préserver les droits du créancier, contrairement à d’autres mécanismes tels que la renonciation à la prescription.
Suite à la réquisition, l’office des poursuites notifie au débiteur un commandement de payer (art. 69 LP).
Le Commandement de Payer (art. 69 LP)
Le commandement de payer reprend les informations contenues dans la réquisition de poursuite et constitue un acte de mise en demeure. Concrètement, ce document oblige le débiteur à effectuer le paiement dans un délai de vingt jours, que ce soit directement au créancier ou en mains de l’office des poursuites. Il est important de préciser que :
- Le délai de 20 jours ne signifie pas que le débiteur ne peut payer qu’avant son expiration. En effet, un paiement effectué après ce délai reste possible, mais il entraînera l’ajout des frais de poursuite, ces derniers ayant été avancés par le créancier.
À réception du commandement, le débiteur dispose de plusieurs voies de réaction :
- L’opposition (art. 74 LP) : Il s’agit d’une simple déclaration faite à l’office des poursuites. Aucun motif n’est requis, mais le délai de 10 jours pour s’y opposer est impératif.
- Le paiement (art. 12 LP) : Le débiteur peut choisir de régler immédiatement la créance.
- La demande de preuves (art. 73 LP) : Le débiteur peut solliciter du créancier la production de documents justifiant l’existence de la créance. Cette démarche est purement informative et ne suspend pas le délai d’opposition.
- L’absence de réaction : En cas de silence du débiteur, la poursuite se poursuit automatiquement.
La Mainlevée de l’Opposition
Lorsque le débiteur exerce son droit d’opposition, le créancier doit engager une procédure spécifique pour lever cette opposition et poursuivre la poursuite. La mainlevée se décline en trois modes :
La Mainlevée Définitive (art. 80 LP)
Pour obtenir la mainlevée définitive, le créancier doit disposer d’un titre de mainlevée définitive. Ce titre peut être :
- Un jugement exécutoire (issu de juridictions cantonales, d’autres cantons ou, sous condition d’exequatur, de juridictions étrangères). Les sentences arbitrales internes ou, sous réserve des conventions internationales (ex. Convention de New York pour les sentences internationales), peuvent également jouer ce rôle.
- Une transaction ou une reconnaissance passée en justice.
- Un titre authentique : bien que la notion d’authenticité varie selon les traditions cantonales (notaire dans les cantons latins, service de l’État dans les cantons alémaniques).
- Une décision d’une autorité administrative ayant force exécutoire.
Le juge de la mainlevée examine la validité du titre. Si celui-ci est reconnu exécutoire, la mainlevée est accordée rapidement et permet de poursuivre la procédure. En cas de refus, et si le commandement de payer se périme (après un an selon l’art. 88 LP), le créancier pourra tenter d’obtenir une mainlevée provisoire.
Note importante : La décision de mainlevée définitive ne peut être réutilisée dans une nouvelle procédure si celle-ci a échoué en raison du non-respect des délais.
La Mainlevée Provisoire (art. 82 LP)
Si le créancier ne dispose pas d’un titre suffisant pour la mainlevée définitive, il peut recourir à la mainlevée provisoire. Celle-ci repose principalement sur une reconnaissance de dette – qu’elle soit sous forme authentique ou sous seing privé – et, dans certains cas, sur des documents tels que :
- L’acte de défaut de biens après saisie (art. 149 al.2 LP),
- L’acte de défaut de biens après faillite (art. 265 al.1 LP).
Lorsque le juge ordonne la mainlevée provisoire, le débiteur a deux options :
- Ne pas agir : La mainlevée définitive deviendra automatiquement exécutoire après un délai de 20 jours.
- Intenter une action en libération de dettes (art. 83 al.2 LP) : Il s’agit d’une procédure judiciaire ordinaire par laquelle le débiteur conteste la créance. Cette action, bien que relevant du contentieux, se déroule dans le for de poursuite, sauf dérogation en cas d’élection de for contraire par les parties.
L’Action en Reconnaissance de Dettes (art. 79 LP)
En l’absence d’un titre permettant de demander la mainlevée (définitive ou provisoire), le créancier peut engager une action en reconnaissance de dettes. Dans cette procédure :
- Le débiteur devient, à l’inverse, le demandeur, et le créancier se trouve en position de défendeur.
- Le juge rend alors une décision qui comporte à la fois une reconnaissance de la dette et une mainlevée de l’opposition.
- En cas de refus de la mainlevée, le jugement déclare la créance non due et acquiert l’autorité de la chose jugée.
Ce mécanisme illustre la rigidité procédurale de la LP, laquelle peut parfois conduire à une situation où le débiteur se trouve contraint de payer, non pas en raison du bien-fondé de la créance, mais du strict respect des délais et formalités.
Pour atténuer ce risque d’injustice, la LP prévoit des dispositifs protecteurs.
L’Action et la Requête en Annulation ou Suspension (art. 85 et 85a LP)
Parallèlement aux procédures de mainlevée, le débiteur peut recourir à deux voies subsidiaires pour contester la créance en prouvant soit que celle-ci n’est pas due, soit qu’elle n’est pas encore exigible :
- La requête en annulation ou suspension (art. 85 LP) :
Cette procédure, plus simple, nécessite la production d’un titre attestant de l’annulation (par exemple, un titre de remise de dettes) ou de la suspension (accord du créancier accordant un délai supplémentaire). - L’action en annulation ou suspension (art. 85a LP) :
Ici, le débiteur doit convaincre le juge, au moyen du test de la vraisemblance, que la dette n’est pas due ou n’est pas exigible. Cette procédure est utile lorsque le débiteur ne dispose pas d’un titre probant mais peut démontrer, de manière convaincante, l’inadéquation de la créance.
Il est essentiel de noter que ces moyens ne peuvent être employés pour remettre en cause un jugement de reconnaissance de dettes déjà établi. Ils interviennent principalement dans deux situations critiques :
- En cas de non-opposition dans le délai imparti, ce qui entraîne la continuation automatique de la poursuite.
- En l’absence d’action en libération de dettes dans le délai de 20 jours, après l’obtention de la mainlevée provisoire.
Ces procédures complémentaires visent à rétablir un équilibre, en permettant au débiteur de faire valoir ses droits lorsque la stricte application des délais procéduraux pourrait autrement le conduire à un paiement injustifié.
Conclusion
La procédure préalable en matière d’exécution forcée, bien que technique et rigoureuse, intègre des mécanismes destinés à protéger tant les créanciers que les débiteurs. De la réquisition de poursuite, qui interrompt la prescription, jusqu’aux diverses formes de mainlevée de l’opposition et aux recours en annulation ou suspension, le législateur a cherché à concilier l’exigence formelle de la procédure avec la nécessité de ne pas faire supporter au débiteur les conséquences d’un défaut de respect des délais.