La Propriété Immobilière en Droit Suisse : Acquisition, Restrictions et Enjeux

La propriété immobilière en Suisse est encadrée par des règles précises visant à concilier les droits des propriétaires et les impératifs collectifs. Ce volet se concentre sur les spécificités de la propriété foncière, son acquisition, ses limites et les défis contemporains.


I. L’Objet de la Propriété Foncière

La propriété foncière porte sur des immeubles, définis par l’art. 655 CC. Ces derniers se divisent en quatre catégories :

  1. Biens-fonds : Parcelles de terrain délimitées et inscrites au registre foncier (RF).
  2. Droits réels immobiliers distincts : Servitudes (ex. droit de passage) ou droits de superficie (droit de construire sur un terrain appartenant à autrui), pourvu qu’ils soient inscrits au RF pour au moins 30 ans.
  3. Droits miniers : Concessions cantonales pour l’exploitation de ressources souterraines.
  4. Parts de copropriété : Quote-parts d’un immeuble en copropriété ordinaire ou par étages.

Cas particuliers :

  • Immeubles dépendants (art. 655a CC) : Un immeuble (ex. chemin privé) peut être rattaché à un autre (ex. maison), partageant le même sort juridique.
  • Immeubles publics : Soumis au droit public (ex. routes, parcs), ils échappent au régime de propriété privée classique.

II. Acquisition de la Propriété Foncière

A. Acquisition Dérivée

Elle suppose un transfert volontaire, via :

  1. Inscription au RF (art. 656 al. 1 CC) :
    • Titre valable (ex. contrat de vente authentifié).
    • Requête d’inscription par le propriétaire.
    • Inscription constitutive : Le transfert est effectif une fois inscrit au RF.
  2. Successions ou fusions : La propriété est acquise automatiquement (sans inscription préalable), mais doit être déclarée au RF ensuite.

B. Acquisition Originaire

Elle ne dépend pas d’un précédent propriétaire :

  1. Occupation (art. 658 CC) : Prendre possession d’un bien-fonds abandonné, sous réserve qu’il soit inscrit au RF comme « sans maître ».
  2. Accession (art. 659 CC) : Gain de terrain par phénomènes naturels (ex. alluvions).
  3. Usucapion :
    • Ordinaire (art. 661 CC) : Acquisition après 10 ans de possession paisible et de bonne foi, avec inscription au RF.
    • Extraordinaire (art. 662 CC) : 30 ans de possession, même de mauvaise foi, pour les immeubles non inscrits ou sans propriétaire identifié.
  4. Jugement (art. 665 CC) : Un tribunal peut attribuer la propriété si le vendeur refuse de requérir l’inscription.

C. Acquisition de Bonne Foi (art. 973 CC)

Un acquéreur de bonne foi qui se fie au RF est protégé, même si le vendeur n’était pas légitime.


III. Perte de la Propriété Foncière

  1. Relative : Transfert à un nouvel acquéreur (ex. vente, succession).
  2. Absolue :
    • Déréliction : Abandon formalisé par radiation du RF.
    • Destruction totale : Effondrement d’un terrain rendant son usage impossible.

IV. Mesures Judiciaires Exceptionnelles

  1. Propriétaire introuvable (art. 666a CC) : Le juge peut autoriser des travaux urgents ou nommer un administrateur.
  2. Personnes morales sans organes (art. 666b CC) : Intervention judiciaire si une société propriétaire n’a plus de direction valide.

V. Restrictions à la Propriété Foncière

A. Restrictions Volontaires

Le propriétaire peut limiter ses droits via :

  • Servitudes : Droits réels au profit d’un tiers (ex. droit de passage).
  • Charges foncières : Obligations grevant le fonds (ex. hypothèque).
  • Droits personnels : Contrats de bail ou pactes (ex. droit de préemption).

Exemple : Un pacte de préemption permet à un voisin d’acheter un terrain en priorité si le propriétaire décide de vendre (art. 216a CO).

B. Restrictions Légales

  1. Droit privé :
    • Droit de voisinage (art. 684–698 CC) : Interdiction des immissions excessives (bruit, fumée) perturbant les voisins.
    • Servitudes légales : Passage nécessaire pour un fonds enclavé (art. 694 CC), sous réserve d’indemnisation.
  2. Droit public :
    • Loi sur les résidences secondaires (LRS) : Restrictions pour limiter la spéculation dans les zones touristiques.
    • Zonage environnemental : Protection des terres agricoles (LDFR).

VI. Droits sur les Sources et Eaux Souterraines

  • Propriété : Une source appartient au propriétaire du terrain où elle jaillit (art. 704 CC).
  • Restrictions :
    • Fontaine nécessaire (art. 710 CC) : Un voisin peut exiger un droit d’accès à l’eau en cas de besoin vital.
    • Règles d’écoulement (art. 689 CC) : Interdiction de détourner abusivement les eaux au détriment d’autrui.

VII. Enjeux Contemporains

  1. Équilibre propriété privée/intérêt public : Tensions entre développement urbain et protection des terres agricoles.
  2. Crises climatiques : Gestion des risques (ex. inondations) et responsabilité des propriétaires.
  3. Numérisation du RF : Modernisation des inscriptions pour renforcer la sécurité juridique.

Conclusion

La propriété immobilière en Suisse repose sur un équilibre subtil entre liberté individuelle et contraintes collectives. Alors que les restrictions légales se multiplient face aux défis environnementaux et sociaux, un débat persiste : jusqu’où l’État peut-il limiter la propriété sans porter atteinte à son essence ? La réponse réside peut-être dans une approche pragmatique, où chaque restriction est justifiée par un impératif démontrable.