Lorsque le débiteur n’obtient pas de sursis à la réalisation – ou que celui-ci devient caduc –, la procédure passe à l’étape de la réalisation, régie par les articles 116 et suivants de la LP. Selon la nature de l’actif saisi, les règles applicables diffèrent : il s’agit de la réalisation des meubles, des immeubles ou des créances. Cet article présente en détail ces différents modes de réalisation, ainsi que les étapes ultérieures de distribution des deniers et l’importance des actes de défaut de biens.
La Réalisation
La réalisation désigne la phase par laquelle les biens saisis sont vendus afin de générer un produit de réalisation destiné à désintéresser les créanciers. Elle intervient dès lors que le sursis à la réalisation n’est pas obtenu ou devient caduc. On distingue trois catégories de réalisation :
- La réalisation des meubles (art. 125ss LP)
- La réalisation des immeubles (art. 133ss LP et ORFI – Ordonnance sur la réalisation forcée des immeubles)
- La réalisation des créances (art. 131 LP)
La Réalisation des Meubles (art. 125ss LP)
Pour les biens mobiliers, deux modes de réalisation sont admis :
Vente de gré à gré (art. 130 LP)
Il s’agit d’une vente négociée par l’office des poursuites, qui cherche un acquéreur et négocie un prix. Cette modalité est encadrée par plusieurs conditions, notamment :
- L’accord de tous les intéressés : créanciers, débiteur et créanciers-gagistes doivent y consentir expressément.
- La quotation : la valeur de l’objet doit être déterminée (par exemple, pour des titres).
- Les biens particuliers : pour des objets en métaux précieux ou périssables (comme des bananes ou des crevettes), la vente peut être réalisée immédiatement, compte tenu de la spécificité de leur nature.
Vente aux enchères forcée
Dans les autres hypothèses, l’office procède à une vente aux enchères. Trois particularités se distinguent dans cette modalité :
- Transfert immédiat de propriété : contrairement à la règle générale (art. 714 CC), l’article 235 CO prévoit que le transfert de propriété a lieu dès l’adjudication.
- Absence de garantie : selon l’article 234 al.1 CO, l’acquéreur n’obtient aucune garantie. Le risque est supporté par l’acheteur, qui enchérit donc à un prix inférieur.
- Modalités de paiement : le paiement doit être effectué immédiatement le jour de la vente ou dans un délai de 20 jours (art. 129 LP).
Cas particulier – Biens gagés :
Même lorsqu’un bien est grevé d’un droit de gage, il peut être saisi car la propriété demeure celle du débiteur. Toutefois, le principe de l’« offre suffisant » (art. 125 LP) impose que la vente n’ait lieu que si le prix réalisé est supérieur au montant du gage. Par exemple, si un tableau vaut 120’000 CHF et qu’un gage de 100’000 CHF le frappe, la vente permettra de désintéresser les créanciers-gagistes uniquement si le prix atteint ou dépasse cette somme. En cas de réalisation insuffisante (par exemple 80’000 CHF), l’objet est retiré de la vente, et les créanciers-gagistes doivent procéder eux-mêmes à la vente.
La Réalisation des Immeubles (art. 133ss LP et ORFI)
La réalisation des immeubles comporte plusieurs particularités :
Établissement de l’État des Charges (art. 140 LP)
- Contenu : L’état des charges, établi à partir du registre foncier, recense toutes les charges affectant l’immeuble.
- Opposabilité : Il peut être contesté dans un délai d’opposition de 10 jours (procédure d’épuration de l’état des charges). Une fois épuré, les droits non inscrits disparaissent lors de la vente.
La Délégation des Charges (art. 135 LP)
Le principe de délégation des charges prévoit que l’immeuble est vendu avec l’ensemble des charges inscrites dans l’état des charges. L’acquéreur reprend ainsi l’immeuble avec tous les droits réels limités, baux et, le cas échéant, les hypothèques ou autres privilèges.
La Double Mise à Prix (art. 142 LP)
Ce mécanisme intervient en cas de conflit entre un droit de gage et un droit réel limité postérieur, tel qu’un droit de passage :
- Première mise à prix : L’immeuble est vendu avec le droit réel limité. Si l’offre obtenue est supérieure au montant du gage, la vente s’effectue dans ces conditions.
- Deuxième mise à prix : Si la première offre est inférieure, une vente est organisée sans le droit réel limité. La comparaison des offres permet de déterminer si le droit limité lése le créancier-gagiste. Dans certains cas, ce droit pourra être radié du registre foncier.
Spécificités liées aux baux et aux droits de préemption
- Double mise à prix des baux : La vente forcée d’un immeuble occupé par des locataires pose la question de la protection des banques versus celle des locataires. Le locataire peut, selon l’article 261 CO, être protégé et demander une prolongation du bail jusqu’à quatre ans, même en cas de vente.
- Gestion des droits de préemption :
- Préemption légal : Le préempteur peut exercer son droit lors de la vente forcée (art. 60a ORFI) en se substituant à l’acquéreur ou en le déléguant.
- Préemption conventionnel : En principe, lors de la vente forcée, le droit de préemption conventionnel non annoté s’éteint (art. 51 ORFI). S’il est annoté, il est transféré à l’acquéreur.
La Gérance Légale
Lors de la réalisation d’un immeuble, l’office des poursuites peut, selon l’article 102 LP et l’art. 16 ORFI, se substituer au propriétaire pour gérer l’immeuble et percevoir ses fruits (notamment les loyers) durant l’intervalle entre la saisie et la vente. Souvent, cette gérance est déléguée à une régie immobilière.
La Gestion des Charges Réelles et Personnelles
À la vente, les charges sur l’immeuble peuvent être :
- Déléguées à l’acquéreur (liens, servitudes, baux, droits de préemption annotés, etc.).
- Réalisées lors de la vente (par exemple, les droits de gage échus).
- Supprimées (notamment les droits réels limités incompatibles ou les préemptions non annotées).
La Réalisation des Créances (art. 131 LP)
La réalisation des créances est rarement mise en œuvre, car l’office des poursuites parvient le plus souvent à encaisser les créances directement (par exemple, en demandant à l’employeur de verser le salaire). Lorsque le tiers débiteur refuse de payer, la créance peut être vendue :
- Aux enchères ou de gré à gré, bien que le marché des créances soit peu dynamique.
- La cession de la créance au créancier est généralement la solution la plus simple.
Deux modes sont envisagés :
- La remise à l’encaissement : L’office conserve la créance et mandate le créancier pour recouvrer la somme.
- La dation en paiement : La créance est transférée directement au créancier, qui ne pourra plus la faire valoir ultérieurement.
Le choix revient au créancier, qui privilégie généralement la remise à l’encaissement afin de conserver sa créance.
La Distribution des Deniers (art. 144 LP)
Une fois la réalisation effectuée, le produit de vente est distribué aux créanciers selon un ordre précis :
- Paiement des frais d’administration de la procédure.
- Distribution aux créanciers, dans l’ordre suivant :
- D’abord, les créanciers-gagistes,
- Ensuite, les titulaires de droits réels limités radiés,
- Puis, les autres créanciers, selon le mécanisme de l’article 144 al.4 LP.
- Restitution du solde : Si un excédent subsiste, il est attribué soit au débiteur, soit aux créanciers ayant saisi la plus-value.
Si le produit de réalisation s’avère insuffisant, deux scénarios se présentent :
- Une saisie complémentaire peut être envisagée (art. 145 LP).
- En l’absence d’actifs supplémentaires, les principes analogues à ceux de la faillite s’appliquent (art. 146‑148 LP), avec la prise en compte des privilèges et un état de collocation.
Les Actes de Défaut de Biens (art. 149 LP)
L’acte de défaut de biens est un document remis par l’office des poursuites au créancier lorsque le produit de réalisation est insuffisant. Ses effets sont multiples :
Effets Matériels
- Extension de la prescription : La prescription est prolongée jusqu’à 20 ans (art. 149a LP) afin de permettre un éventuel nouveau recouvrement. Toutefois, en cas de décès du débiteur, l’action contre les héritiers doit être intentée dans l’année, sous réserve de leur acceptation de la succession.
- Arrêt des intérêts : Dès la remise de l’acte, l’accumulation des intérêts est interrompue (art. 149 al.4 LP) ; la créance devient imprescriptible, mais aucun intérêt ne peut être exigé.
Effets sur la Procédure
- Poursuite sans procédure préalable : Le créancier peut requérir directement la continuation de la poursuite, sans devoir recommencer la procédure.
- Séquestre immédiat : En cas de nouveaux actifs, ceux-ci peuvent être immédiatement séquestrés (art. 271 al.1 ch.5 LP).
- Action révocatoire : Si le débiteur a transféré des actifs à des tiers avant la saisie, le créancier peut agir en révocation (art. 285 LP).
- Titre de mainlevée provisoire : Pour toute poursuite entamée après les six premiers mois, l’acte de défaut de biens sert de titre de mainlevée provisoire (art. 149 al.2 LP).
Conclusion
La phase de réalisation dans l’exécution forcée constitue l’aboutissement de la procédure de saisie, permettant de convertir les actifs du débiteur en liquidités destinées à désintéresser les créanciers. Qu’il s’agisse de meubles, d’immeubles ou de créances, chaque catégorie suit des règles spécifiques, avec des dispositifs particuliers tels que la double mise à prix, la gestion des charges ou encore la gérance légale des immeubles. La distribution des deniers et la remise des actes de défaut de biens viennent compléter ce dispositif en cas d’insuffisance du produit de réalisation.
Ce système, à la fois technique et équilibré, vise à concilier l’efficacité de l’exécution forcée et la protection des droits de toutes les parties – créanciers, débiteur et tiers concernés.