La législation suisse encadre de manière rigoureuse les rapports locatifs afin de protéger les locataires, notamment en matière de loyers abusifs et de résiliation abusive du bail. Cet article présente, de façon détaillée et accessible, les mécanismes juridiques prévus par les articles 269 à 273c du Code des Obligations (CO) qui visent à protéger les locataires de baux d’habitation et de locaux commerciaux.
1. Protection Contre les Loyers Abusifs
Contrairement à la liberté des prix en matière de vente, les loyers dans les baux immobiliers font l’objet d’un contrôle spécifique. Les articles 269 à 270e CO protègent les locataires contre des loyers abusifs ou d’autres prétentions abusives du bailleur. Il est important de noter que cette protection ne s’applique pas aux maisons de luxe, aux logements de vacances, aux immeubles qui ne sont ni habitations ni locaux commerciaux, ni aux habitations dont les loyers sont déjà contrôlés par une autorité étatique (articles 253a et 253b CO).
A. Les Situations de Contestation
Le locataire peut contester le montant d’un loyer jugé abusif dans trois situations principales :
- Contestation du loyer initial (article 270 CO)
Dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la chose, le locataire peut contester le loyer initial et en demander la diminution devant l’autorité de conciliation. Cette contestation est possible si l’une des conditions suivantes est remplie :- Le locataire a été contraint de conclure le bail pour des raisons personnelles ou familiales (lit. a) : il a rencontré de sérieux problèmes lors de sa recherche et a dû signer en urgence.
- Le locataire a été obligé de conclure le bail en raison d’une conjoncture défavorable sur le marché local (lit. a) : il doit apporter la preuve d’une pénurie de logements, constatée officiellement par le canton (moins de 1,5 % de logements vacants dans le périmètre concerné).
- Le bailleur a sensiblement augmenté le loyer initial par rapport au précédent loyer, c’est-à-dire de plus de 10 % (lit. b).
- Demande de diminution du loyer en cours (articles 270 et 270a CO)
Le locataire peut demander une réduction du loyer pour le prochain terme de résiliation si la chose louée procure un rendement excessif au sens des articles 269 et 269a CO. Pour que cette contestation soit recevable, deux conditions cumulatives doivent être réunies :- Les bases de calcul du loyer ont notablement changé.
- Le bien loué procure au bailleur un rendement excessif.
- Contestation de l’augmentation de loyer (article 270b CO)
Si le locataire estime que l’augmentation proposée par le bailleur est abusive au regard des articles 269 et 269a CO, il doit la contester devant l’autorité de conciliation dans les 30 jours suivant la réception de l’avis de majoration. Ce délai de péremption est impératif et ne peut être interrompu ni prolongé.
B. Modalités d’Augmentation du Loyer par le Bailleur
L’article 269d CO encadre strictement la possibilité pour le bailleur d’augmenter le loyer pour le prochain terme de résiliation. Les conditions imposées sont :
- Notification sur formule officielle
- Indication précise des motifs de l’augmentation
Cela permet au locataire de décider s’il souhaite contester l’augmentation. - Respect du terme contractuel
La majoration ne peut intervenir qu’à l’occasion du prochain terme de résiliation. - Respect du délai de notification
L’avis de majoration doit parvenir au moins 10 jours avant le début du délai de résiliation, afin de permettre au locataire de résilier le contrat s’il n’accepte pas l’augmentation. - Absence de menace de résiliation
Le locataire peut également s’opposer à d’autres modifications unilatérales (par exemple, diminution des prestations ou l’introduction de nouveaux frais accessoires).
C. Critères d’Évaluation du Loyer
Pour déterminer si un loyer est abusif, le rendement net de la chose louée est examiné. Ce rendement correspond au rapport entre :
- Le revenu net perçu (loyers perçus moins les frais d’entretien, financiers et d’exploitation),
- Les fonds propres investis par le bailleur.
L’article 269a CO énonce également d’autres critères présumant un loyer admissible. En présence de ces critères, les loyers sont réputés non abusifs, et il revient au locataire de démontrer le caractère excessif du loyer. Ces critères se déclinent en :
- Loyers usuels de la localité ou du quartier
La comparaison se fait avec au moins cinq exemples comparables tenant compte de l’emplacement, de l’année de construction, de la dimension et de l’état du bien. - Loyers justifiés par des hausses de coûts
Ces hausses correspondent notamment à l’augmentation du taux hypothécaire de référence et des frais d’entretien. - Loyers justifiés par des prestations supplémentaires
Des investissements supplémentaires par le bailleur (agrandissement ou amélioration énergétique) peuvent légitimer une augmentation du loyer.
Il convient d’établir des distinctions entre :
- Le loyer fondé sur les coûts : analyse de l’excès de rendement pour le bailleur.
- Le loyer fondé sur le marché : déterminé par la valeur marchande du bien.
- Les critères absolus : indépendants des accords antérieurs (rendement excessif, limites de rendement pour des constructions récentes, loyers usuels).
- Les critères relatifs : tenant compte des modifications de coûts, des prestations supplémentaires et de la compensation d’une éventuelle réduction de loyer.
Le Tribunal fédéral a développé deux méthodes pour apprécier le caractère abusif d’un loyer :
- La méthode absolue : examen des prix du marché et des coûts supportés par le bailleur pour déterminer si le loyer en lui-même est abusif.
- La méthode relative : contrôle de l’adaptation du loyer en cours de bail en fonction des rapports contractuels entre les parties.
2. Protection Contre les Congés Abusifs
Les dispositions des articles 271 à 273c CO offrent aux locataires une double protection contre les résiliations abusives du bail, en mettant en œuvre deux mécanismes complémentaires : l’annulabilité du congé et la prolongation du bail.
A. Annulabilité du Congé
Même si la partie qui résilie n’est pas tenue de motiver son congé, le destinataire peut demander la motivation de ce dernier (article 271 al. 2 CO; 9 al. 1 OBLF). La motivation, devant être claire, simple et précise, permet au locataire d’évaluer s’il souhaite contester le congé.
Les Cas d’Annulabilité
- Résiliation contraire aux règles de la BF
Le congé est annulable s’il contrevient aux règles de la bonne foi, sans distinction selon que l’auteur soit le locataire ou le bailleur. Il est considéré abusif s’il :- Ne repose sur aucun intérêt objectif sérieux.
- Résulte d’une disproportion crasse entre les intérêts des parties (par exemple, un simple oubli récurrent du locataire ne justifie pas la résiliation).
- Constitue un comportement contradictoire (par exemple, résiliation pour retard de paiement alors que le bailleur n’avait pas communiqué les frais accessoires définitifs).
- Résiliation par le bailleur (article 271a CO)
Certaines résiliations unilatérales du bailleur sont spécialement visées et peuvent être annulées si elles reposent sur :- La résiliation de représailles (lit. a) : suite à l’exercice par le locataire de prétentions issues du bail, le lien de causalité devant être établi.
- La résiliation de modification (lit. b) : lorsqu’elle sert à imposer une modification du contrat en défaveur du locataire.
- La résiliation-vente (lit. c) : afin d’éviter que le locataire se voie imposer l’achat du bien ou son départ.
- La résiliation liée à un changement de situation familiale : par exemple, une modification du nombre de personnes dans le ménage.
- La résiliation pendant une procédure de conciliation ou judiciaire (lit. d) : le bailleur ne peut pas expulser le locataire pendant la procédure.
- La résiliation survenant dans les trois ans suivant une procédure de conciliation ou judiciaire relative au bail (lit. e) : afin de protéger le locataire de représailles après une procédure en sa faveur.
En cas d’annulation du congé, le contrat de bail se poursuit comme auparavant. La contestation doit être portée devant l’autorité de conciliation dans les 30 jours suivant la réception du congé (article 273 al. 1 CO). Dans les logements familiaux, le conjoint du locataire peut également contester le congé (article 273a CO).
B. Prolongation du Bail
Lorsque le bailleur résilie un contrat de durée indéterminée et que cette résiliation n’est pas annulée sur la base des articles 270 et 270a CO, le locataire peut demander une prolongation du bail. Cette mesure a pour objectif de donner au locataire un délai supplémentaire pour trouver une solution alternative et d’atténuer les conséquences de la fin du contrat.
Conditions de Prolongation
Pour bénéficier de la prolongation du bail, trois conditions doivent être remplies :
- Validité de la résiliation
La résiliation doit avoir pris fin de manière effective, sans être inefficace ou nulle pour des raisons de forme, et sans motif d’annulation au sens des articles 270 et 270a CO. - Absence de motif d’exclusion de prolongation
Aucune condition excluant la prolongation ne doit être présente (article 272a CO). - Prépondérance des conséquences pénibles pour le locataire
Les conséquences de la résiliation doivent être telles que les intérêts du locataire l’emportent sur ceux du bailleur opposant la prolongation (article 272 CO).
Si ces conditions sont remplies, le bail d’habitation ou le local commercial peut être prolongé pour une durée maximale de 4 ans. Le tribunal apprécie la durée et le nombre de prolongations (article 272 al. 3 CO) et la prolongation conduit à la poursuite du contrat, en principe sans modification (article 272c al. 2 CO).
Conclusion
La protection des locataires dans le cadre des baux immobiliers repose sur un ensemble de mécanismes juridiquement encadrés. La législation suisse offre des outils précis pour contester un loyer abusif – que ce soit lors de la fixation initiale, d’une révision en cours ou lors d’une augmentation – en s’appuyant sur des critères de rendement et sur des méthodes absolues ou relatives. Par ailleurs, la protection contre les congés abusifs, via l’annulabilité du congé et la possibilité de prolonger le bail, garantit que les locataires ne se retrouvent pas démunis face à des résiliations unilatérales déraisonnables.
Ces dispositifs illustrent l’effort législatif pour équilibrer la relation locative en protégeant les intérêts des locataires tout en permettant au bailleur de faire valoir ses droits dans le respect des principes de bonne foi et d’équité. Ce cadre juridique invite ainsi à une réflexion approfondie sur l’évolution des pratiques locatives et sur la nécessité d’une protection renforcée des locataires dans un marché immobilier en constante mutation.