Trafic des paiements, virement et assignation : Mécanismes et cas pratiques en crédit documentaire

Le trafic des paiements repose sur un système de compensation des créances qui, par novation, permet de n’afficher qu’un seul solde sur le compte d’un client. Si ce solde est positif, le client détient une créance sur sa banque ; s’il est négatif, la banque est créancière du client. À cela s’ajoute le contrat de giro bancaire, par lequel la banque gère, pour le compte de son client, la passation d’écritures – et non le transfert d’espèces direct – transformant ainsi ces écritures en monnaie scripturale immédiatement convertible en espèces.

Dans cet article, nous détaillons la nature juridique de ces mécanismes (giro bancaire et assignation) et analysons leur application dans un cas pratique de crédit documentaire.


I. Le Contrat de Giro Bancaire : Mandat de Trafic des Paiements

1. Nature et Fonctionnement

Le contrat de giro bancaire est qualifié de contrat de mandat. Par ce mandat, le client (mandant) confie à la banque (mandataire) la gestion de son trafic des paiements. Concrètement, la banque débite et crédite le compte de son client par le biais d’un simple jeu d’écritures comptables.
Les écritures ainsi passées constituent de la monnaie scripturale, qui, à tout moment, peut être convertie en espèces.

2. L’Intervention du Client : L’Assignation

Outre le mandat de gestion du trafic des paiements, le client agit en donnant des ordres pour effectuer un paiement sur le compte d’un tiers. Ce mécanisme est appelé assignation.
Il convient de préciser plusieurs points :

  • Double autorisation unilatérale : L’assignant autorise d’une part l’assigné à exécuter le paiement et, d’autre part, il autorise l’assignataire (le bénéficiaire) à recevoir le paiement.
  • Prise d’effet : L’assigné n’est pas immédiatement obligé ; il le sera dès qu’il notifiera son acceptation – en application de l’art. 468 al.1 CO.
  • Rapport de valeur et de couverture :
    • Le rapport de valeur, pouvant être encadré par un contrat (par exemple, un contrat de vente), permet à l’assignant d’être libéré dès que le bénéficiaire acquiert une créance irrévocable contre la banque.
    • Le rapport de couverture, quant à lui, détermine les modalités par lesquelles la banque ne peut refuser le paiement même en cas de défaut de fonds ou de vice affectant le rapport de valeur. En effet, le principe d’abstraction bancaire (art. 468 al.1 CO) oblige l’assigné à exécuter le paiement sans pouvoir invoquer, pour s’y soustraire, des exceptions liées au rapport de valeur ou de couverture.

II. La Structure des Relations dans le Trafic des Paiements

Le système peut se complexifier lorsqu’il existe des relations entre plusieurs banques. Ainsi :

  • Virement interne : Lorsque le client donne l’ordre à sa banque d’effectuer un paiement à un autre client de la même banque, la relation se limite à une opération interne.
  • Relations interbancaires : Dans un système quadrangulaire, le donneur d’ordres et le bénéficiaire peuvent avoir des comptes dans des banques différentes. Le réseau de correspondants bancaires ou le système centralisé de règlement, comme le Swiss Interbank Clearing (SIC) piloté par la Banque nationale suisse, permet d’assurer la fluidité des opérations par un jeu d’écritures multiples, garantissant l’indépendance de l’engagement bancaire.

III. Cas Pratique : Une Opération d’Accréditif dans le Commerce International

La situation suivante illustre l’application des principes évoqués dans le cadre d’un crédit documentaire.

Contexte de l’Opération

  • Les parties
    • Cala Export SA, société genevoise active dans le commerce de matières premières, conclut un contrat de vente avec Filly Import Ltd, basée aux Émirats Arabes Unis, pour l’achat de 25’000 kg d’un alliage de plomb et d’argent au prix de USD 800’000.
  • Le moyen de paiement
    • Le paiement doit s’effectuer par lettre de crédit (accréditif) irrévocable.
    • Cala Export détient un compte à la banque Crédit Genevois SA (à Genève) et Filly Import a un compte auprès de Dubaï Bank Ltd (à Dubaï).
  • Les règles applicables
    • Les Règles et Usances Uniformes (RUU) 600, notamment l’obligation de la rigueur documentaire (vérification de la conformité formelle des documents dans un délai de 5 jours ouvrés, art. 14b RUU) et le principe d’abstraction (indépendance du rapport de valeur), encadrent l’opération.
  • Fonctionnement
    • La banque Crédit Genevois est chargée uniquement de notifier l’ouverture de l’accréditif à Dubaï Bank.

Questions et Analyse Juridique

1. Documents Non Conformes Restitués par la Banque Notificatrice

Question :
Cala Export, dont les documents présentés ne sont pas conformes aux conditions de l’accréditif, se voit restituer ces documents par Crédit Genevois. Peut-elle demander à Dubaï Bank d’exécuter le paiement ?

Analyse :
Le paiement dans le cadre d’un crédit documentaire est subordonné à la présentation de documents conformes aux conditions de l’accréditif. En l’espèce, l’art. 7 RUU 600 précise que l’engagement de la banque émettrice (ici Dubaï Bank) est suspensif à la conformité des documents. Par conséquent, Cala Export ne peut pas obtenir le paiement lorsque les documents sont jugés non conformes.


2. Paiement Effectué en Dépit de la Non-Conformité

Question :
Crédit Genevois procède au paiement en faveur de Cala Export sans relever la non-conformité, puis transmet les documents à Dubaï Bank pour remboursement. La banque notificatrice dispose-t-elle d’une créance contre Dubaï Bank ?

Analyse :
En agissant ainsi, Crédit Genevois a exécuté son mandat de notification, mais en payant alors que les documents étaient non conformes, elle a manqué à son obligation d’exécuter le mandat de manière régulière (cf. art. 397 et 402 CO). Dès lors, elle ne peut pas invoquer une créance fondée sur une inexécution irrégulière du mandat, et ce, même si elle sollicite un remboursement ultérieur.


3. Refus de Paiement pour Insuffisance de Couverture

Question :
Les documents présentés sont conformes, mais le compte de Filly Import ne présente qu’un solde de USD 350’000. Dubaï Bank refuse le paiement pour cause de manque de fonds. Cala Export peut-elle exiger le paiement ?

Analyse :
Le principe de l’abstraction, confirmé par l’art. 468 al.1 CO et l’art. 7 RUU 600, impose à la banque émettrice de procéder au paiement dès que les documents conformes sont présentés, indépendamment de la situation de couverture du compte de Filly Import. Ainsi, même en cas de défaut de fonds, Dubaï Bank doit exécuter son obligation de paiement.


4. Contestation du Débit par Filly Import

Question :
Après que Dubaï Bank a versé USD 800’000 à Crédit Genevois, Filly Import se trouve en difficulté puisque les documents présentés se révèlent non conformes. Peut-elle contester le débit effectué sur son compte ?

Analyse :
En vertu du principe de rigueur documentaire, la banque émettrice se doit de vérifier la conformité des documents. En ayant procédé au paiement malgré une non-conformité, Dubaï Bank a exécuté de manière irrégulière son mandat. Filly Import est en droit de contester ce débit et d’exiger une écriture inverse sur son compte, même si l’extourne (la correction comptable) n’est pas applicable en l’espèce, car il s’agit d’un litige portant sur les motifs et non sur le montant de l’écriture.


5. Opposition au Paiement pour Vice de Consentement

Question :
Filly Import souhaite s’opposer au paiement en alléguant que Cala Export l’a induite en erreur lors de la conclusion du contrat et envisage de se prévaloir d’un vice de consentement. Dubaï Bank peut-elle refuser le paiement en se fondant sur ce vice ?

Analyse :
Les RUU 600, notamment le principe d’abstraction (art. 4 RUU 600 et art. 468 al.1 CO), imposent que la banque émettrice ne se préoccupe pas des vices du contrat sous-jacent dès lors que les documents présentés sont conformes et que l’assignation a été acceptée. En d’autres termes, même si le contrat de vente entre Filly Import et Cala Export est vicié, Dubaï Bank reste tenue d’exécuter le paiement. Le vice allégué ne constitue donc pas une exception valable au paiement.


Conclusion

Le mécanisme du trafic des paiements, structuré autour du contrat de giro bancaire et de l’assignation, repose sur des principes forts : la compensation des créances par novation, l’abstraction du rapport de valeur et la rigueur documentaire. Ces principes garantissent que, dès que les documents présentés dans le cadre d’un crédit documentaire sont conformes, la banque émettrice doit procéder au paiement, quelles que soient les situations de couverture ou les éventuelles contestations relatives au contrat sous-jacent.

L’analyse détaillée du cas pratique nous montre que le respect des RUU 600 et des dispositions du Code des obligations (notamment les art. 468 al.1 CO) est essentiel pour la sécurité juridique des opérations de crédit documentaire. En cas de non-conformité ou d’exécution irrégulière, les parties disposent de recours limités, la protection du paiement reposant avant tout sur le respect strict des règles formelles. Cette indépendance de l’engagement bancaire contribue à la fluidité des transactions internationales, tout en imposant aux acteurs une vigilance accrue quant à la qualité des documents présentés.